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 Le travail en Allemagne

 

   À Łódź, on m’a emmené dans un camp de rassemblement où la plupart des jeunes avaient 15-16 ans. Mais je n’y suis pas resté longtemps. Moins d’une semaine après mon arrivée, ils m’ont emmené en Allemagne, près de Brandebourg. Quand on est arrivé, on m’a renvoyé, avec un groupe d’environ vingt autres jeunes, à la Polizei Kaserne, autrement dit à la caserne de police. À l’avant du groupe de bâtiments, il y avait un grand bloc dans lequel se trouvaient les bureaux des divers départements de police : la criminelle, les SS, etc., et derrière se trouvaient les écuries. Et c’est là que se trouvaient les chambres. Dans ce petit espace, nous dormions à cinquante, sur des lits superposés de trois étages. Sur chaque lit métallique, un matelas et une couverture.

Nous faisions divers types de travaux. Le plus souvent, j’étais transporteur. J’allais à la gare et je déchargeais les wagons. Au début, il y avait beaucoup d’équipement militaire à décharger : des munitions, des armes, des vêtements, parce que c’était des casernes de mobilisation où de jeunes hommes et des civils arrivaient pour suivre une formation. Réveil à six heures du matin, et à sept heures arrivaient les wachmen2 qui nous répartissaient pour le travail : ici cinq personnes, là dix. Il y avait aussi des entreprises. J’ai travaillé pendant longtemps dans une entreprise de charbon. Le chef qui possédait le dépôt de charbon était allemand. Il avait même deux camions, mais l’armée lui en avait pris un et lui avait donné deux chevaux en échange. Je l’accompagnais pour livrer le charbon. Je travaillais souvent chez lui, il m’appréciait beaucoup et demandait toujours à travailler avec moi. Lui et sa femme n’avaient pas d’enfant, et comme il avait déjà 67 ans, je crois, ils n’avaient pris personne dans l’armée. Quand je travaillais avec lui, je commençais généralement à huit heures. J’allais à la gare, il me récupérait ensuite et m’emmenait chez lui où l’on travaillait jusqu’à cinq heures. Vers six heures du soir, ils nous laissaient rentrer dans nos écuries à la caserne, on y passait la soirée et on y dormait. La même chose tous les jours.

Pour la nourriture, cela fonctionnait comme cela : le matin, on recevait un demi-litre de café noir. Ils disaient que c’était du café, mais ça aurait tout aussi bien pu être des feuilles. Et après avoir bu ce café, nous devions travailler toute la journée. Ce n’est que le soir, quand on rentrait, que l’on recevait un repas : un pain noir coupé en quatre, une plaquette de margarine, parfois un morceau de charcuterie et un demi-litre de soupe. Quand on mangeait ça, on reprenait un peu de forces. Quand le matin j’arrivais seul chez l’Allemand, je recevais parfois un morceau de pain supplémentaire. À la fin de la guerre, je pesais 42 kilos, et j’avais 18 ans. On perdait du poids tous les jours. Mais un Polonais arrive toujours à s’en sortir dans la vie ! On arrivait à resquiller des choses de temps en temps. Parfois je volais des lacets ou des chaussettes quelque part, parfois quelqu’un d’autre prenait quelques pommes de terre en déchargeant. Tout le monde s’entraidait, nous formions tout simplement une famille. Nous ne laissions rien se gâcher ! Même quand je recevais une bête carotte, c’était déjà quelque chose. Même chose avec les cigarettes. Nous n’en recevions pas du tout. De temps en temps, quand je livrais à domicile du charbon aux Allemandes, elles nous donnaient tantôt deux cigarettes, tantôt cinq. Parfois même l’une d’elle nous donnait de la marque. Une fois, je leur ai porté dix sacs de cinquante kilos jusque dans la cave. Et parfois il y en avait qui me demandaient de porter ces sacs au premier ou au deuxième étage. Elles, c’était les pires, elles ne donnaient rien. Mais quand j’allais à la cave porter le charbon et qu’il y avait des pommes, j’en prenais toujours une. Et c’est ainsi qu’on a pu survivre à cette chère guerre. 
2 Allemand : Les gardes.